Les élèves de la promotion 2019-2020 des élèves conservateurs du patrimoine ont choisi de porter le nom d'Hugo Pratt.
« Mes voyages ont été pour moi l’occasion d’aller dans un endroit qui existait déjà dans mon imagination ».
Hugo Pratt, Le désir d’être inutile, 1991
Les bandes dessinées d’Hugo Pratt racontent le monde à travers les mythes, les légendes et l’histoire ; elles puisent dans un imaginaire collectif et appartiennent à un patrimoine culturel commun, qui dépasse largement les frontières de l’Europe. En saluant la mémoire d’Hugo Pratt, nous souhaitons rendre hommage à l’œuvre exceptionnel d’un auteur nourri par l’érudition, le goût du voyage et la curiosité à l’égard de l’autre. Nous revendiquons la part d’imaginaire que portent ses récits, dans lesquels la richesse des productions humaines s’accompagne toujours d’une dimension immatérielle et métaphorique. À travers le choix d’un mode d’expression populaire, nous voulons souligner l’importance du neuvième art dans la culture des XXe et XXIe siècles.
Depuis les rives de la Méditerranée jusqu’aux confins de l’océan Pacifique, le réel et la fiction se mêlent dans les albums d’Hugo Pratt, tout comme les origines et la destinée de son principal héros, Corto Maltese, se confondent avec celles de l’auteur. Dans cet univers onirique, les lieux et les évènements historiques deviennent des personnages à part entière. Venise incarne ainsi les origines méditerranéennes et cosmopolites d’Hugo Pratt, qui y passe une grande partie de son enfance.
Précédant de quelques décennies les voyages de son auteur, les itinéraires de Corto Maltese jalonnent le monde du début du XXe siècle, du désert brûlant du Yémen jusqu’aux sommets enneigés de l’Helvétie, depuis les plaines de la Mandchourie jusqu’à la lisière de la forêt amazonienne. Des personnages fictifs y croisent la route de personnages historiques et les aventures du marin maltais se perdent dans la folie des guerres et de leurs répercussions infinies aux quatre coins du monde. La poésie et la littérature occupent une place essentielle dans le travail d’Hugo Pratt, qui sait également prêter ses pinceaux pour illustrer les textes d’Arthur Rimbaud, de Rudyard Kipling ou de Robert Louis Stevenson.
La passion de Pratt pour l’histoire, pour la découverte des cultures présentes et des civilisations du passé se manifeste à travers la documentation minutieuse qu’il constitue pour construire ses récits, et dont témoignent ses multiples études et carnets de croquis, présentés en frontispice de ses ouvrages et régulièrement exposés dans des musées du monde entier. Le travail du créateur rejoint alors celui du chercheur : ethnologue fasciné par le théâtre d’ombre turc (La maison dorée de Samarkand) ou les parures des îles Salomon (La ballade de la mer salée) ; géographe retraçant les périples du baron fou Ungern-Sternberg à travers les steppes de la Mongolie (Corto Maltese en Sibérie) ou historien décrivant le quotidien d’une ville nord-américaine de la fin du XVIIIe siècle (Wheeling). Convoquant tour-à-tour les mânes d’Hypatie (Fables de Venise), l’héritage du Parzifal de Wolfram Von Eschenbach (Les Helvétiques) ou les paraboles labyrinthiques de l’Atlantide de Platon (Mû), son goût pour l’ésotérisme et sa fascination pour les traditions mystiques et gnosiques sont indissociables du personnage, tout comme ses ambiguïtés et ses parts d’ombres.
Si la guerre et l’armée occupent une place essentielle dans l’œuvre de Pratt, reflétant ses itinérances personnelles qui l’entrainèrent, encore enfant, dans les soubresauts éthiopiens de la Seconde guerre mondiale, sa vision n’est cependant jamais belliciste ni condescendante, privilégiant toujours le point de vue des faibles et des opprimés. L’un de ses premiers héros, créé au début des années 1950 avec le scénariste argentin Héctor Oesterheld, représente ainsi un soldat rebelle, proche des Amérindiens et révolté par les massacres (Sgt. Kirk). Les bandes dessinées d’Hugo Pratt s’inscrivent pleinement dans la période de la décolonisation et offrent une vision marginale des conflits, dans laquelle l’amitié et la solidarité entre les individus l’emportent toujours sur la satisfaction cruelle des victoires. Les différences entre les cultures ne sont jamais pensées comme des barrières infranchissables, mais comme une richesse que transcende la curiosité des uns envers les autres. Cette ouverture d’esprit et cette curiosité, fondent nos disciplines et nos métiers ; elles font entrer en résonance l’œuvre d’Hugo Pratt avec le monde actuel et permettent d’affirmer la conviction que l’universel ne doit en rien céder à la peur de l’altérité.
Les élèves de la promotion Hugo Pratt
Promotion 2019-2020 des élèves conservateurs du patrimoine