Rencontres et débats

La nature du patrimoine : Inventer une relation de connivence entre nature et culture

Pour la sixième année consécutive, les élèves conservateurs de l’Institut national du patrimoine (Inp) organisent conjointement avec les doctorants de l'Institut des Sciences sociales du Politique (ISP – UMR 7220) une journée d’études portant sur des problématiques communes au droit et au patrimoine. Elle se déroulera le 4 juin 2024 et investira, en quatre séquences, les voies selon lesquelles le droit et les doctrines de conservation du patrimoine ainsi que les pratiques juridiques et patrimoniales qui en découlent, font obstacle ou peuvent déborder la dialectique nature-culture et, dans ces dépassements, susciter de nouvelles formes de patrimonialisation, concentrées sur les émotions, les hybridations et les relations de connivences de la nature et de la culture.

Programme

1. Quand la patrimonialisation de la nature redéfinit la nature du patrimoine 

Une double question structure cette première session : comment la nature a été pensée et construite comme objet patrimonial au cours des XIXe et XXsiècles, et comment la patrimonialisation de la nature a contribué, en retour, à redéfinir les contours du patrimoine. Dans ce double processus, la nature fut d'abord appréhendée au prisme de critères et d'outils juridiques façonnés pour le patrimoine culturel. Sur un autre versant, les politiques de protection de patrimoine culturel ont emprunté la taxonomie des sciences naturelles au XIXe siècle. La patrimonialisation d'ensembles et d’éléments naturels ainsi que l'évolution des disciplines scientifiques (écologie, esthétique environnementale, anthropologie, géographie, etc.) ont par la suite contribué à redélimiter le périmètre et reconfigurer les pratiques du patrimoine en miroir des spécificités du vivant (son caractère évolutif, sa dimension immersive, ses frontières mouvantes).

À ce processus s’ajoute l'interpénétration croissante du patrimoine naturel avec d’autres typologies patrimoniales, comme le patrimoine culturel immatériel, les connaissances traditionnelles et les savoirs locaux. Cette perméabilité entre les catégories patrimoniales peut être source de conflits et être le levain de nouvelles expressions patrimoniales. En témoignent des situations d’opposition ou de connivences entre la préservation du patrimoine culturel – notamment immatériel – et la protection de certaines espèces vivantes et de milieux naturels.

2. Faire face à la perte irréversible du patrimoine

Selon la formule d’André Chastel et de Jean-Pierre Babelon « Le patrimoine se reconnaît au fait que sa perte constitue un sacrifice et que sa conservation suppose des sacrifices ». Le caractère irréversible de la perte menace le principe même de transmission aux générations futures – au cœur de la notion de patrimoine – et renvoie également à une nature en péril nécessitant protection et conservation. Toute réflexion sur la perte renvoie à celle sur le préjudice, aux alternatives, réparations et compensations, dans la définition d’un système de responsabilités.

Dans le champ de la culture, la notion de génocide culturel, intimement liée à l’obligation internationale de protection des identités culturelles, n’a pu s’imposer dans les énoncés du droit international. Aujourd’hui, elle entre en résonance avec le concept d’écocide, dont une des plus spectaculaires expressions fut les conséquences des ravages causés par l’agent orange au Vietnam, déversé par l’armée américaine dans les années 1970. 

Du point de vue des pratiques patrimoniales, la dépose, la mise à l’abri ou le refuge – visant à éviter la perte matérielle d’une œuvre mais susceptible de provoquer une perte de sens et de contexte – sont sources de dilemmes. Elles peuvent en cela être rapprochées de la conservation ex situ de la faune ou de la flore, tant les dynamiques à l’œuvre semblent converger.

3. Nature et culture : des frontières hybrides ?

Certaines pratiques tendent à diluer les frontières entre patrimoine et nature jusqu’à provoquer leur hybridation. Interroger les liens du patrimoine avec la nature, c’est interroger notre rapport au vivant, à la biodiversité, aux milieux naturels ; c’est aussi poser un autre regard sur le monde et nous situer dans cet ensemble.

En ce sens, un regard esthétisant sur le paysage peut ne voir en celui-ci qu’une œuvre d'art, alors qu’aborder le paysage comme un monde vivant et complexe peut susciter une invitation à agir : chasser, cueillir, récolter, entretenir, poétiser. Quels sont (ou peuvent être) les droits du paysage ou les droits de celui qui intervient dans ou sur le paysage, qui entretient une relation particulière avec un territoire singulier ?  

Sur un autre versant, faire de l'animal l'objet d'une démarche patrimoniale ou artistique met en jeu des représentations variées. Le vivant est-il une simple ressource manipulable à l'envi ? Son introduction dans une exposition, qui amène interactions et intensité émotionnelle, vient interroger nos codes et représentations culturelles. L'animal est-il simplement une chose que l'on possède ou bien dispose-t-il de droits propres ? Nos pratiques patrimoniales et artistiques témoignent ainsi de nos rapports au monde et questionnent l’héritage que nous léguons aux générations futures.

4. Inventer de nouvelles formes de patrimonialisation

Depuis la création de la première réserve artistique dans la forêt de Fontainebleau, par décret impérial en 1861, de nouvelles catégories juridiques ont émergé - qu’il s’agisse des sites, des réserves naturelles, des parcs naturels et des parcs nationaux, des paysages et des jardins remarquables – pour protéger des espaces naturels. La protection de ces espaces répond à des critères environnementaux de conservation des espèces végétales ou animales, ou à des motifs culturels liés à des qualités historiques, esthétiques, pittoresques.

La Convention du Conseil de l’Europe sur les valeurs du patrimoine pour la société, dite Convention de Faro, de même que le Protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, ont redéfini le rôle des sociétés et redistribué les responsabilités dans la mise en œuvre des politiques de préservation d’un patrimoine naturel, culturel et immatériel.

La préservation du patrimoine culturel concerne désormais les individus, les citoyens dans leur ensemble. Le droit au patrimoine culturel, que met en forme la Convention de Faro, substitue au principe de conservation un droit d’accès au patrimoine. Ce droit au patrimoine culturel s’arrime à un droit d’accès à la culture – dont les fondements figurent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans les Pactes de 1966 – et au principe de participation qui découle de la Convention d’Aarhus de 1998. Les groupes sociaux, autrement nommés ‘communautés patrimoniales’ par la Convention de Faro, sont mis en capacité d’exercer de nouveaux droits et d’être associés aux prises de décisions relevant des politiques patrimoniales. La protection et la conservation d’un patrimoine n’est plus l’apanage des seuls experts. Pour protéger la nature, le droit de l’environnement et le droit du patrimoine culturel peuvent donc être mobilisés ; ce qui n’exclut pas qu’apparaissent des phénomènes de concurrence entre ces droits qu’il faut alors arbitrer.

Comité d'organisation

Clémence Becquet, Camille Bertrand-Hardy, Ronan Bretel, Anna-Ludovica Danovi, Brune de Malet, Clémentine Hébrard, Flore Heinrich, Madeleine Hoffer, Anna Magnien, Ambre Tissot, Justine Vignères, Alix Vincent.

Informations pratiques

Entrée libre sur inscription.

La journée d'études aura lieu à l'auditorium Jacqueline Lichtenstein - 2 rue Vivienne - 75002 Paris

L'ensemble de la journée est retransmis sur la Médiathèque numérique de l'Inp.

Galerie Colbert, Auditorium Jacqueline Lichtenstein

2 rue Vivienne
75002 Paris

Comment s'y rendre ?

en métro 
Ligne 3, arrêt : Bourse
Ligne 1, arrêt : Palais royal - Musée du Louvre
Ligne 7, arrêt : Palais royal - Musée du Louvre

en bus
Ligne 29, arrêt : Bibliothèque nationale ou Victoires
Ligne 39, arrêt : Sainte-Anne-Petits-Champs

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Inscription

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Le premier acte des journées d’études, Concilier les enjeux écologiques et patrimoniaux : vers une conservation intégrée ?, organisées par un collectif d’élèves et d’anciens élèves conservateurs du patrimoine, et portées par l’Institut national du patrimoine et l’École du Louvre, s’intéressait à l’archéologie des espaces forestiers et montagnards.

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